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 Pourquoi encore aujourd'hui l'Etat doit-il réaliser des campagnes chocs anti-tabac ?

Partie II : Un contexte socio-économique défavorable

27 Janvier 2015, 09:48am

Publié par MLM

 

a) De puissants cigarettiers

 

    En 2012, la France est le 6ème producteur de tabac de l'Union Européenne. Les quatres plus grandes multinationales du tabac (PMI, Impérial Tobacco, British American Tobacco et Japan Tobacco) contrôlent quatre cinquièmes du marché français.

Les multinationales sont prêtes à tout pour défendre leurs intérêts. Même si le gouvernement essaye par « tout les moyens » de réduire la consommation de tabac en France pour des raisons évidentes de santé publique, les cigarettiers sont réellement puissants. Ils exercent une pression très importante dans le monde politique afin de préserver leurs bénéfices gigantesques au mépris de la santé des personnes. La plus grosse et la plus rentable de toutes les entreprises de tabac à travers le monde est la société Philip Morris International, côtée en bourse à New York avec sa célèbre marque Marlboro qui est en tête des ventes en Amérique mais aussi en Europe.

  Cette entreprise a pour but de bloquer ou du moins retarder les décisions prises par les directives européennes de santé contre les industries du tabac. Philip Morris et les autres cigarettiers défendent leurs intérêts en exerçant une pression ou une influence sur des personnes ou institutions détentrices de pouvoir, comme les députés nationaux ou européens.

  Par exemple, selon un article du journal Le Parisien, 161 lobbyistes ont reçu un budget spécifique de 548 927 euros pour l'organisation « d'événementiels ». « Il y a un trou noir sur les destinations de cet argent. Il faut savoir où cela va vraiment », s'interroge Emmanuelle Beguinot, présidente du Comité national contre le tabagisme.

  Au début de l'année, le commissaire européen à la Santé John Dalli était accusé de corruption avec un cigarettier. De plus, d'après un épisode du magazine télévisé « Cash Investigation », nous savons que grâce au bon relais de l'industrie de tabac au sein du Parlement Européen, celle-ci écrit et impose ses amendements destinés à affaiblir la directive européenne sur le tabac.  

Le leader mondial du secteur avec la marque Malboro a fiché les 74 députés français du Parlement Européen et les autres qui y siègent aussi pour mieux les identifier et affiner son lobbying. Des notes apparaissent sur chaque député, notamment son nom, sa nationalité, son parti, les commissions dont il membre, son statut et sa formation. Se trouve aussi un code de couleur qui précise si le député en question est opposant à l'industrie et s'il faut l'approcher. Ainsi, Françoise Grossetête, député du Parti populaire européen est en rouge vif, ce qui veut dire que c'est une fervente opposante à l'industrie du tabac.

Ces annotations soulignent donc pour Philip Morris qu'il faut « surveiller de près ses éventuelles initiatives anti tabac » et qu'elle « refuse de rencontrer l'industrie ». Au contraire de Christine de Veyrac, députée du Parti populaire qui est en bleu, serait « très favorable » à l'industrie du tabac. Selon le cigarettier, elle devrait même « relayer un message positif à Françoise Grossetête ».

1ère photo : Extrait de deux documents confidentiels rédigés Philip Morris (fiche des députés) ; 2ème photo : John Dalli ; 3ème photo : Françoise Grossetête
1ère photo : Extrait de deux documents confidentiels rédigés Philip Morris (fiche des députés) ; 2ème photo : John Dalli ; 3ème photo : Françoise Grossetête1ère photo : Extrait de deux documents confidentiels rédigés Philip Morris (fiche des députés) ; 2ème photo : John Dalli ; 3ème photo : Françoise Grossetête

1ère photo : Extrait de deux documents confidentiels rédigés Philip Morris (fiche des députés) ; 2ème photo : John Dalli ; 3ème photo : Françoise Grossetête

  De plus, les industries de tabac utilisent la conspiration pour conserver voire accroître leur toute puissance au détriment de la santé publique. Cette conspiration est à l'échelle mondiale et se déroule en trois temps fort :

  • la manipulation scientifique: il a été prouvé que récemment les industries du tabac se sont alliées entre elles pour embaucher des scientifiques et des professeurs d'université. Elles voulaient qu'ils publient des articles mensongers sur la non nocivité du tabac puis sur celle du tabagisme passif ;
  • la subversion commerciale: les industries ont tout essayé pour retarder l'application de la loi ou pour la contourner. Ils créaient des cache-paquets destinés à masquer les messages, ou encore avaient recours à la « glamourisation » des paquets, au cinéma par exemple ;
  • la stratégie économique: l'industrie essaye de toucher les jeunes et les pauvres ou bien d'infiltrer des pays aux marchés fermés pour se développer mieux et vite, comme c'est le cas en Afrique où la santé de la population n'est pas une priorité des pouvoirs publics: leur législation n'est pas aussi restrictive.

   Aujourd'hui, l'industrie du tabac s'engage dans une nouvelle lutte contre les cigarettes électroniques pour conserver à tout prix leur domination sur le marché. En voyant une perte de leurs bénéfices face à la montée en puissance des cigarettes électroniques, comme n’importe quel lobby, les cigarettiers réagissent par le dénigrement incessant, en cherchant à détourner l’opinion publique d’un produit beaucoup plus sain que le tabac.

Ainsi des campagnes de stigmatisation, de désinformation et de dénigrement de la cigarette électronique ne cessent de se multiplier depuis.

b) Dimension sociale

 

  Pour mieux appréhender le phénomène du tabagisme, il est nécessaire de s’intéresser au comportement des fumeurs, de connaitre leurs motivations, les images véhiculées, le phénomène de dépendance commun a toutes les substances additives.

 

Motivations du fumeur :

La première cigarette est rarement une expérience agréable, mais l’individu continuera à fumer :

• pour transgresser le tabou

• imiter les autres*

• communiquer dans le groupe

• répondre à la pression des autres fumeurs

• par plaisir*

• par lutte contre un "mal-être" ennui, solitude, stress, anxiété....

  et enfin par habitude

(*) : Notions régulièrement reprises dans notre sondage

 

La dépendance :

C’est un état entraînant une grande difficulté à se passer d'une substance contenue dans le produit absorbé. Dans le cas du tabac, c’est la nicotine qui rend dépendant et sa diminution dans le sang entraîne les effets suivants :

• un besoin impératif de fumer,

• des troubles du caractère,

• troubles de la concentration, du sommeil,

• sensations de faim, des tremblements, des maux de tête...

  Le fumeur se trouve confronté à une pulsion irrésistible qui le pousse à reprendre une cigarette, même contre sa propre volonté.

 

Les différents fumeurs :

  Plusieurs études s’accordent à classer les fumeurs en catégories

• les impénitents : déculpabilisés, ils recherchent le plaisir immédiat, et n’ont aucune perception du risque ;

• les compulsifs ont l’impression d’être pris au piège, cherchent à combler un vide mais ont une perception du risque ;

• les gestionnaires sont conscients du danger lié a une consommation prolongée mais considèrent que les apports (plaisir, anti-stress…) sont plus importants ;

• les victimisés se sentent coupables et sont conscient des risques et de l’image négative qu’ils donnent.

Enfin pour mesurer pour le degré de dépendance il existe un questionnaire type, internationalement reconnu : le test de Fagerstrom (http://www.automesure.com/Pages/tabac.htm).

Les comportements :

Concernant plus particulièrement les jeunes : leurs comportement est particulier.

Parmi les jeunes fumeurs, plus de la moitié souhaitent arrêter, mais ne réussissent pas et contournent les lois : plus de 30% des jeunes déclarent ne pas respecter la loi à l'école ou à l'université mais aussi dans les bars et les lieux publics couverts. Cependant, les filles disent mieux respecter la loi.

Les opinions :

Les non-fumeurs ont un avis défavorable sur les fumeurs. 80% de jeunes pensent que les fumeurs sont dépendants d'une drogue qui est responsable de leurs problèmes de santé. 60% pensent qu'il est justifié d'augmenter les taxes (2 fois moins chez les fumeurs). Il y a donc une guerre entre les fumeurs et les non fumeurs : 50% le pensent et les fumeurs sont plus sensibles à cette "guerre".

  Pour illustrer les développements précédents, relatifs à la typologie des fumeurs et de leurs comportements, nous avons réalisé une petite enquête au près de nos entourages et de nos collègues de lycée. Cette enquête évidemment n’a pas la rigueur scientifique d’un sondage, mais elle met toutefois en avant l’addiction des fumeurs, leurs difficultés à imaginer et réussir un sevrage. Nous avons classé les résultats de notre enquête en trois classes d’âges et en distinguant les hommes et les femmes.

 

Les jeunes (14 à 18 ans)

Les jeunes (14 à 18 ans)

Les jeunes adultes (19 à 30 ans)

Les jeunes adultes (19 à 30 ans)

Les adultes (+ 30 ans)

Les adultes (+ 30 ans)

c) Le rôle ambigu de l'État

 

L'État prend régulièrement des mesures pour réduire la consommation de tabac. L'une des difficultés majeures pour les appliquer est l'ingérence de l'industrie du tabac dans les politiques publiques. « Qu'est ce qui empêche la France de rejoindre l'Australie, la Suède, le Danemark, où une consommation de tabac marginale est envisagée à l'horizon 2030 ? » s'interroge Jean-Louis Roumégas, député de l'Hérault et membre du groupe écologiste à l'Assemblée Nationale.

« La relation ambiguë des pouvoirs publiques avec l'industrie, nourrie par l'illusion que ce produit contribue positivement aux comptes publics, nuit à l'efficacité de nos politiques ».

Jean-Louis Roumégas

  L'État joue en effet un rôle ambigu.

  Tout d'abord, la création de la Seita (Société d'exploitation industrielle du tabac et des allumettes) en 1926, contrôlée par l'État, sous le gouvernement de Raymond Poincaré, après un rapport d'André Citroen, permet aux pouvoirs publics de profiter abondamment du tabac.

  Il retire un bénéfice certain sur la vente de ces produits que l’on peut classer dans la catégorie des drogues légales. Le but était de remplir ses caisses après les dépenses considérables de la Première Guerre mondiale. Elle avait le monopole de la culture du tabac en France jusqu'en 1970 ainsi que celui de la fabrication et de la vente de tabac et d'allumettes jusqu'en 1976. Elle contrôle alors 22 manufactures réparties sur l'ensemble du territoire national. Les rapports nationaux et internationaux étant unanimes sur les méfaits du tabagisme ont conduit l'État à se retirer de la Seita en 2000. Mais c'est assez paradoxal puisque pendant tout ce temps, à la fois il s'enrichissait grâce aux bénéfices créés par la vente, mais il promulguait aussi des lois anti-tabac pour en réduire la consommation.

  Ce n'est pas pour autant que la relation de l'industrie du tabac et de l'État est devenue moins interdépendante, puisque les taxes sur les paquets de cigarettes procurent aux pouvoirs publics une recette importante. Le pourcentage des taxes pour un paquet de cigarettes s'élève à 80 % pour l'État et 12 % pour les cigarettiers. Une grande partie du prix des cigarettes est composée de taxes gouvernementales indirectes. Celles-ci se décomposent en trois grandes catégories : droits d'accise, taxes sur les ventes (TVA par exemple) et éventuellement, droit de douane. Elles correspondent à 3 % du PIB.

  Nous pouvons donc penser que l'État ne peut pas se passer du tabac puisque la consommation de ce produit lui rapporte chaque année 14 milliards d'euros de recettes fiscales. Chaque fumeur fait gagner 1000 euros par an à la collectivité. « Sans le tabac, le déficit de la SECU, déjà très lourd, le serait encore d'avantage » prétend le journaliste Matthieu Pechberty de BFM Business, dans son livre « L'État accro au tabac ». C'est pour cela qu'il ne peut pas l'interdire une bonne fois pour toute en France. Or, ce produit coûte 47,7 milliards d'euros (selon le Planestocope) en terme d'assurances maladie (cancer, traitements...) donc bien supérieur aux 14 milliards d'euros gagnés par l'État.

  Pourquoi en conséquence ne pas interdire la vente du tabac ?

   En fait, tous les jours, les pouvoirs publics gagnent 30 millions d'euros grâce à cette drogue légale, mais celle-ci aura un effet nocif dans 20 ans quand elle provoquera des cancers du poumon par exemple. Cette perspective entre donc en collision avec la politique à court terme de l'État. En effet, pour lui, la recette doit rentrer dans l'immédiat et pour le reste, c'est « on verra plus tard ».

  En outre, l’État a un rôle ambigu avec la distribution du tabac. En effet, chaque mesure de type augmentation du prix du paquet ou photos chocs sur les emballages, réduisent la consommation et par conséquent le chiffre d’affaires des buralistes, augmentant le mécontentement des personnes exerçant cette profession. La baisse de leur activité est d’autant plus importante car les augmentations de prix génèrent beaucoup plus de commerce transfrontalier et de vente illégale de cigarettes. C’est pour cela que face au lobbying des buralistes, l’État se limite a des augmentations raisonnables et progressives (quelques pourcentages par an) alors qu’un doublement immédiat du paquet baisserait de 40% la consommation de tabac selon certaines estimations.

 

Flyer de buraliste lors des récentes manifestations

Flyer de buraliste lors des récentes manifestations

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